jeudi, 23 janvier 2020 18:43

Du recueil :Les flammes hautes, publication posthume en 1917

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La vie ardente

Mon cœur, je l’ai rempli du beau tumulte humain :
Tout ce qui fut vivant et haletant sur terre,
Folle audace, volonté sourde, ardeur austère
Et la révolte d’hier et l’ordre de demain
N’ont point pour les juger refroidi ma pensée,
Sombres charbons, j’ai fait de vous un grand feu d‘or,
N’exaltant que sa flamme et son volant essor

Qui mêlaient leur splendeur à la vie angoissée.
Et vous, haines, vertus, vices, rages, désirs,
Je vous accueillis tous avec tous vos contrastes,
Afin que fut plus long, plus complexe et plus vaste
Le merveilleux frisson qui me fit tressaillir.
Mon cœur à moi ne vit dûment que s’il s’efforce ;
L’humanité totale a besoin d‘un tourment
Qui la travaille avec fureur, comme un ferment,
Pour élargir sa vie et soulever sa force.

Qu’importe, si l’on part, qu’on n’arrive jamais,
Et que l’on voie au loin se déplacer les cimes !
L’orgueil est de monter toujours vers un sommet
Tenant la peur de soi pour le plus vil des crimes ;
Celui qui choit s’est rehaussé, quand même, un jour,
S’il a senti l’enivrement de la mêlée
L’exalter à tel point dans la haine ou l’amour,
Que sa force soudaine en parue décuplée.

Et puis toucher, goûter, sentir, entendre et voir ;
Ouvrir les yeux pour regarder l’aube le soir
Dorer un horizon ou rosir un nuage ;
Marcher près de la mer et chanter sur la plage ;
Ecouter le vent fou danser sur la forêt
Comme sur un brasier de flammes végétales ;
Recueillir un parfum dans un flot de pétales ;
Sucer le jus d’un fruit intarissable et frais ;
Ou bien vouer des mains aux caresses profondes,
Le soir, quand sur sa couche amoureuse, la chair
S’illumine du large éclat de ses seins clairs ;
Dites ! N’y eût-il rien que ces bonheurs au monde
Qu’il faut les accueillir pour vivre éperdument.

O muscles que je meus avec emportement !
O rythmes de mon sang qui m’allégez tout l’être
Quelle fièvre vous entrainez à votre cours !
Voici que mon cerveau se ranime à son tour
Et qu’il cherche et se tend pour découvrir, peut-être,
Dans l’univers profond un peu de vérité.
Et je tremble et j’exulte à lire le mystère
Parler comme quelqu’un qui parlerait sous terre,
Et le sol bat, et mon cœur rouge et contracté
S’écrase sur ce sol pour mieux entendre encore.

 

Tableau  :  Coucher de  soleil  à   Ambletsuse de  Théo  Van  Rysselberghe

Lu 2270 fois Dernière modification le mercredi, 11 mars 2020 19:13

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