Il faut distinguer plusieurs Steinbeck :
- Le romancier des grands espaces et de la vallée : Tortilla Flat (1935), Of Mice and Men (Des souris et des hommes, 1937), The Grapes of Wrath (Les raisins de la colère, 1939) — qui est presque une épopée des déclassés fuyant le Dust Bowl vers une Californie chimérique.
- Le chroniqueur social :(En un combat douteux). Il n’a pas inventé le réalisme américain, mais il l’a porté avec une intensité politique rare, tout en restant accessible. Sa vision est moins théorique que celle de Dos Passos, mais plus incarnée, collée aux gens.
- Le Steinbeck plus tardif, plus sombre et désabusé : East of Eden (À l’est d’Éden, 1952) en est l’exemple : grande fresque familiale, mais aussi méditation sur le mal, la liberté, l’héritage.
- Et puis un Steinbeck voyageur : Travels with Charley (Voyage avec Charley, 1962), où il parcourt l’Amérique avec son chien dans une caravane, vieux sage curieux et inquiet.
Sa place est ambiguë : prix Nobel en 1962, adoré par les uns pour son humanisme, décrié par d’autres comme trop sentimental ou simplificateur. Mais son influence est immense, et beaucoup de ses thèmes (exil, écologie avant la lettre, dignité des petits) sont encore brûlants.
A l’est d’Eden (1952)
Steinbeck a voulu “tout mettre” dans cet ouvrage : son enfance dans la vallée de la Salinas, ses obsessions philosophiques (liberté, responsabilité, héritage du mal), et cette idée qu’il écrivait son roman définitif .Il écrivait à un ami après avoir terminé son manuscrit : « J’ai terminé mon livre il y a une semaine. […] C’est le travail le plus long et le plus difficile que j’ai jamais accompli. […] J’y ai mis tout ce que je voulais écrire toute ma vie. ». Sa philosophie y est omniprésente : chaque dialogue, chaque portrait est une méditation sur la liberté et le poids de la faute.. . Le fameux mot hébreu “timshel” (tu peux) est un pivot central du roman ( tu peux vaincre le mal, tu n’y es pas condamné) concentre cette idée que l’homme n’est pas prisonnier d’un destin, contrairement au fatalisme.
Ici , son écriture alterne entre la simplicité rugueuse du dialogue direct, des instants méditatifs où il associe la nature et des envolées lyriques presque bibliques (là, on sent l’Ancien Testament comme modèle rythmique). D’où cette impression que la terre, les herbes, la lumière de la vallée de Salinas, deviennent presque des personnages pour donner le ton aux évènements du récit.
C’est aussi un roman social où il met en scène les préjugés , les oppressions , le conformisme , les inégalités qui broient les individus.
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De ce livre de 800 pages Elia Kazan en a fait un film resté célèbre en exploitant les 200 dernières pages et en gommant ou édulcorant les personnages les plus porteurs de la philosophie de Steinbeck: l’idealiste Samuel Hamilton et le sage Lee , émigré chinois. Il s’est surtout attaché à la dimension psychologique des personnages dont il a exacerbé les tensions, servi par de grands acteurs qui ont assuré le succès du film ..