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Louise Michel

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Louise Michel, rebelle éternelle

Cent ans après sa mort, lettre ouverte à la femme qui a incarné la Commune de Paris

Par Olivier BESANCENOT vendredi 07 janvier 2005.

Olivier BESANCENOT, porte-parole de la LCR.

Chère Louise,

Cette lettre t'aurait probablement agacée, toi, la révolutionnaire qui ne supportait pas le culte de la personnalité. Mais vois-tu, ici en France, cent ans après ta mort, le pouvoir qui mérite toujours notre suspicion ne célèbre que l'anniversaire des vainqueurs. Napoléon fait encore la une, deux cents ans plus tard. La Commune de Paris, première révolution menée par et pour le peuple, ne fait pas parler d'elle, ou si peu. Pourtant, le printemps 1871 a fait entrevoir ce qui n'était qu'un projet : une autre société que le capitalisme s'avérait possible. Trois petits mois, c'est court. Mais quand une révolution brusque le temps, il peut s'immobiliser l'espace d'un instant - peut-être des siècles pour toi et tes camarades, sans doute une éternité pour les Versaillais. Une éternité ramassée en quelques lignes dans nos manuels d'histoire, une éternité amputée, rabougrie par le compresseur d'une pensée unique et dominante.

Aujourd'hui, les quelques rues qui portent ton nom jouxtent les boulevards baptisés Thiers ou Mac-Mahon. Oui, Louise, les bourreaux des communards sont toujours encensés alors qu'ils ont fait abattre plus de 30 000 Parisiens affamés mais fiers, éreintés par des mois de siège militaire mais libres. Aujourd'hui, dans ce XVIIIe arrondissement de Paris où tu as enseigné et défendu la Commune, j'observe les touristes qui photographient le Sacré-Coeur ; la plupart d'entre eux ignorent que ce monument a été bâti pour expier les esprits subversifs comme le tien. Aujourd'hui, les «Versaillais» habitent Neuilly. La rue Perronet, où sur une barricade tu avais pendant plusieurs jours donnés le coup de feu pour empêcher l'ennemi de reprendre aux Communards les clés de la ville, ne porte plus la moindre trace des bombardements qui pilonnaient vos abris, vos corps et vos rêves. Aujourd'hui, Louise, à Levallois où tu es enterrée, les exploiteurs ont chassé le populo loin de la ville, à grand renfort de promoteurs. Malgré tout, à Levallois comme ailleurs, ton ombre continue de planer et de porter l'inlassable espoir d'un monde plus juste, d'un vrai changement qui améliorerait le quotidien de millions de personnes. Mais ce changement ne pouvait pas non plus, à ton époque, s'épanouir dans une République cadenassée par la bourgeoisie, fraîchement propulsée par l'essor industriel. Cette République avait bénéficié d'un concours de circonstances : la chute de l'Empire, ridiculisé et vaincu à Sedan par les Prussiens. Ce changement que tu défendais, les nouvelles élites n'en voulaient pas. Alors, plutôt pactiser avec l'ennemi d'hier, mais allié social de toujours, soudé par les mêmes intérêts spéculatifs, les mêmes appétits financiers, que d'établir une union contre-nature avec le peuple de Paris. Plutôt Bismarck que Blanqui ! Voilà le mot d'ordre de Thiers et comparses. Seulement voilà, le peuple de Paris, en ces temps de guerre, possède des armes et des canons. Pas facile pour l'Assemblée repliée à Versailles de récupérer l'attirail. En réalité, ce 17 mars 1871, plus que vos canons, c'est la possibilité de prendre en main votre destin que les Versaillais ont voulu vous ôter, Or l'élan populaire l'emporta sur la réaction, l'insurrection sur l'humiliation et la fraternisation entre les soldats et la garde nationale sur la répression. Ce fut une révolution. Bien sûr, la Commune a eu des difficultés à surmonter et a connu son lot d'échecs. Mais elle peut se vanter d'avoir ouvert une brèche dans la forteresse des idées dominantes : la preuve que révolution et démocratie peuvent aller de pair. Malgré ses limites, l'expérience de la Commune fait encore écho à l'heure où la mondialisation libérale transforme tout en marchandise, y compris la démocratie. La répartition égalitaire des richesses nécessite toujours de prendre à l'infime minorité des puissants pour restituer à l'immense majorité des exploités. Elle réclame toujours de défier le pouvoir incontrôlé qu'exercent ces privilégiés sur l'économie comme sur l'ensemble de la société. La démocratie communaliste fonctionnait du bas vers le haut ; elle combinait suffrage universel et démocratie directe, en garantissant le multipartisme, la liberté de la presse ainsi que le contrôle et la révocabilité des élus.

Ton nom, Louise Michel, reste une offense pour les adversaires du changement, les conservateurs de droite ou de gauche libérale qui affirment que les révolutions mènent toutes à une tragédie sanglante : pourtant pas un seul d'entre eux n'ignore que le mur des Fédérés du cimetière du Père-Lachaise a été éclaboussé du sang des révolutionnaires communards et non de celui des réactionnaires versaillais. Et puis, cette révolution tu l'as conjuguée au féminin, même au féminisme ; la lutte pour l'émancipation des femmes a été un grand combat au sein du mouvement communaliste où les réflexes machistes étaient monnaie courante. Tu as fait partie de celles qui ont placé les femmes aux avant-postes des bouleversements en cours. Les premières manifestations de septembre 1870 ont été menées par des femmes ; des ambulancières à Montmartre, venues en aide aux blessées, ont pris leur fusil pour aller combattre. Des barricades de la place Blanche aux procès des pétroleuses, tu symbolises une génération de femmes que l'agitation sociale mena au premier plan. Voilà ce que tu représentais fièrement à la barbe d'une société capitaliste misogyne et haineuse des salariés : les dirigeants de ce monde-là ne pouvaient que te haïr.

Tu ne te voyais pas en martyre, ni en sainte laïque ou en vierge rouge. Certes tu aimais le goût de la poudre, mais tu n'avais pas la tendance suicidaire que certains spécialistes aiment à déceler chez quiconque - surtout s'il s'agit d'une femme - ose braver une armée de puissants. Tu étais curieuse de la vie que tu croquais à pleines dents et tu croyais en un avenir meilleur, toi la poète, l'apprentie scientifique, l'artiste, l'institutrice.

Pour toi, la révolution n'était pas une mode, elle rimait avec ténacité. Etre révolutionnaire, c'est l'être au-delà du cours de l'histoire, même quand il ne favorise pas la révolution. Près d'une décennie passée au bagne en Nouvelle-Calédonie n'aura pas eu raison de ton engagement. Bien au contraire, aux premiers pas de ton retour d'exil, plus combative encore, tu braves de plus belle la répression. Pourtant, les vestes politiques se retournaient volontiers à l'heure où tu brandissais toujours ton drapeau en dépit des années de prison et des procès. Ce drapeau appartient à celles et à ceux qui ne renoncent pas à changer le monde. Ce drapeau, loin du poncif du «grand soir» que les révolutionnaires seraient condamnés à attendre, entretient encore l'espoir.

C'est ma grand-mère, une institutrice de Levallois, qui m'a parlé de toi la première fois, me racontant comment tu avais défendu le peuple. Elle méconnaissait, je crois, les couleurs de ton drapeau. Depuis, je m'y suis intéressé de plus près. C'est ce drapeau, rouge et noir, que je veux célébrer dans cette lettre.

http://www. libération. fr/page.php?Article=266427

Liens avec d' autres pages du site : Déclaration ses droits de la femme et de la citoyenne

Article paru dans la rubrique Rebonds de Libération du 7 janvier 2005

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